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– L’Eternel-Féminin….

Posted in Santé et bien-être on 1 juin 2007 by Léon Roumagnac

Et quelle est la force qui lui donne l'impulsion première, qui le soutient pendant cette ascension miraculeuse et l'enlève jusqu'à l'empyrée. L'amour, son amour pour Béatrice et l'amour de Béatrice pour lui, qui lui revient comme la vague de l'Océan en un reflux submergeant. Amour pur, il est vrai, amour idéal, mais plus passionné, plus absolu et surtout plus fécond que le simple amour des sens.Conception nouvelle de l'Amour comme de la Femme. Conception inconnue de l'Antiquité, pressentie seulement

 
  ou La Force Cosmique intangible et inconsciente.
 
Ce mystère remonte par son essence dans le coeur même de la Divinité. En descendant de sphère en sphère il s’obscurcit, pour se rallumer peu à peu dans l’âme humaine et y briller d’une beauté nouvelle. L’Inde, l’Egypte, la Grèce, avaient révéré cette force des forces, cette lumière incréée, émanation et miroir de Dieu lui-même pour la création des mondes, moule et substance des prototypes de tous les êtres. Elle s’était appelée Maïa chez les Indous, Isis chez les Egyptiens, Déméter chez les Grecs. Les sages de ces temps ne concevaient l’Eternel-Féminin que comme une force cosmique intangible et inconsciente.Le christianisme incarne l’Eternel-Féminin dans la Madone, mère terrestre du verbe divin, manifesté sous la forme humaine. Dans la Vierge-Mère du Christ, le Moyen Âge adore l’Amour divin présent dans la Femme. Car, avec une humilité et une tendresse infinie, cette Marie, mère de Jésus, contemple dans l’enfant de sa chair le Fils de Dieu, merveille de la Vie. Ici l’Eternel-Féminin est devenu conscient dans la Femme, mais il reste purement passif. Au siècle des croisades, les troubadours et les trouvères aperçoivent un reflet de la Madone dans la châtelaine solitaire. Ils se mettent à l’aimer et à la chanter d’un amour trouble, mêlé de désir et d’une aspiration indéfinie vers une beauté et une perfection supérieure et inapprochable. L’idole de la poésie chevaleresque, la dame des pensées est un pressentiment de l’idéal féminin et de son essence divine, mais ce n’est encore qu’un embryon, et guère plus qu’un jeu d’esprit et de sentiment. Pour Dante ce rêve devient une réalité tragique et sublime. Il le vit, il le souffre, il l’accomplit à travers sa Béatrice et avec son concours. D’abord son âme s’identifie complètement avec l’Aimée par la sympathie. Quand Béatrice meurt, peu s’en faut qu’il ne meure avec elle. Mais, du fond de son Au-delà, Elle lui rend au centuple ce qu’elle n’avait pu lui donner comme femme dans la vie. Transfigurée par son poète, elle le transfigure à son tour. Elle le sauve en lui faisant traverser l’Enfer, le Purgatoire et le Paradis. L’Aimée passive des troubadours devient l’Amante active, la révélatrice du monde divin, la rédemptrice de l’Aimé. Ici l’Eternel-Féminin s’accomplit sur le plan spirituel, par l’amour réciproque et fécond de l’Homme et de la femme. Il faut avoir suivi l’Etenel-Féminin dans ces trois phases de puissance divine, de puissance cosmique et de puissance psychique ou humaine, pour mesurer toute la hauteur et toute la profondeur de cet arcane. Ces trois phases se montrent à nous comme autant de concentrations successives. Dans la dernière, présentée par l’histoire de Dante et de Béatrice, genèse de la Divine Comédie, il semble que l’Homme, après sa longue descente dans l’épaisseur et dans les ténèbres de la matière, retrouve son ciel perdu dans le coeur de la Femme, qui s’épanouit devant lui comme la fleur merveilleuse du Paradis, comme cette rose blanche aux mille feuilles, d’où s’échappent des tourbillons de parfums et des vols d’anges pareils à des essaims d’abeilles. Faut-il ajouter qu’une partie essentielle de la poésie moderne au XIX ème siècle et même de la poésie contemporaine procède de ce sentiment et de cette force nouvelle, mise en action par Dante ? Les rayons du soleil peuvent se fractionner en nuances infinies, depuis le brun sombre et l’orange foncé jusqu’au violet et au bleu d’outre-mer ; mais dans le prisme atmosphérique, dans ce kaléidoscope éternellement changeant et varié où elle se joue, on reconnaît toujours l’âme multicolore – de la Lumière !
              
                  Edouard Shuré, Dante et le génie de la Foi, Extrait.